J’ai vécu trop longtemps « sans colère ». Je ne savais pas reconnaitre l’agacement, la contrariété, l’énervement… Je n’avais pas appris à écouter cette émotion pour entendre ce qu’elle pouvait me suggérer, les actions qu’elle me proposait pour revenir au bien-être. En ce qui me concerne, j’avais développé la tristesse et l’atonie pour me cacher à moi-même que quelque chose ne m’allait profondément pas – le plus souvent : que quelque chose me faisait me sentir non respectée.
La physiologie de la colère
Du léger agacement à la rage, la colère s’exprime avec une production d’adrénaline, ce qui a comme effet principal d’augmenter l’activité cardiaque. Les différents effets de l’adrénaline permettent de préparer l’organisme à un effort intense. Dans une moindre mesure, cortisol et testostérone sont aussi secrétés. Le premier envoie plus de sucre dans le sang et permet d’être prêt à agir vite et fort. La seconde nous pousse à nous focaliser sur ce qui est prioritaire – pas de dispersion quand il faut se mobiliser rapidement !
Si, comme moi pendant trop longtemps, vous ne ressentez pas la colère, vous n’avez pas d’énergie mobilisée pour agir contre ce qui cause votre énervement. Vous risquez donc de laisser perdurer ce qui ne vous va pas. Et au contraire, si vous ressentez une colère incontrôlable, vous risquez d’en mobiliser bien trop. Vous risquez ne plus savoir reconnaître quand un léger ajustement aurait suffi.
Quand l’énergie mobilisée m’aide
Selon les tenants de l’Intelligence Émotionnelle, ressentir des émotions est un moyen pour notre corps d’attirer notre attention sur ce qui se passe et ce que nous devons faire. J’aime à penser que les émotions sont des messagères, et qu’elles nous parlent en nous signalant :
- un constat
- une recommandation
Ainsi la joie par exemple (sous toutes ses formes, depuis le doux contentement jusqu’à la jubilation intense, en passant par la fierté ou l’enthousiasme) nous signale : 1/ le constat = tout va bien et 2/ la recommandation = profite ! Chaque émotion nous signale une catégorie de situation à repérer, et une catégorie d’actions à privilégier pour revenir au bien-être et à la sécurité.
La colère, elle, est associée à la défense du territoire, au droit fondamental de vivre – et de vivre comme il est bon pour nous. Ainsi le constat pourrait être : « quelqu’un dépasse tes limites », par exemple, quelqu’un piétine une valeur importante pour toi ; et la recommandation serait : « restaure ces limites ! », par exemple réaffirme telle valeur et obtient qu’on la respecte.
L’énergie mobilisée lorsque nous sommes en colère est donc un allié indispensable pour mettre en œuvre les actions utiles.
Petits rappels nécessaires :
- Émotion = source d’informations utiles. Ce qu’on appelle « l’intelligence émotionnelle » est notre capacité à créer un partenariat avec nos émotions. Tenir compte de nos émotions et des informations qu’elles nous apportent nous permet de nous ajuster plus finement dans chaque situation que nous vivons.
- Pas d’émotion sans processus physiologique : s’il n’y a pas de symptômes corporels, alors c’est une idée, un film que l’on se fait, pas une émotion.
- Nous sommes toustes uniques ! Les différentes écoles d’intelligence émotionnelle catégorisent les émotions et leurs messages – présentés souvent comme des vérités indéboulonnables d’ailleurs. En réalité, nous pouvons toustes vivre des symptômes différents – ou du moins nuancés – en présence de causes variées, et réagir avec des comportements physiques, émotionnels, mentaux, comportementaux, etc. très personnels !
La colère est un apprentissage des comportements acceptables
Pour moi qui ai « découvert » la colère très tardivement (j’ai pris conscience de ressentir cette émotion après mes 35 ans), l’ajustement de mes réactions est encore un « chantier en cours ».
Chacun·e d’entre nous doit apprendre à repérer ses émotions, idéalement dès leur « signal faible » – ce qui pour la colère serait un léger agacement – et apprendre à y réagir en douceur. Lorsque nous sommes très légèrement agacé·e·s, il nous est plus facile de réagir avec une communication et un comportement adaptés au contexte. Pour moi qui ai nié ma colère si longtemps, les signaux faibles sont encore de pauvres messagers, pas très efficaces… Il me faut encore trop souvent attendre l’énervement, la colère un peu forte pour me rendre compte que quelque chose est en train de dépasser mes limites ! … Ce qui veut en fait dire qu’elles ont déjà été dépassées depuis quelque temps !
Aider un enfant à repérer ses émotions et à réagir en tenant compte des messages qu’elles transmettent est un magnifique cadeau à faire aux enfants de toute espèce sur cette planète. Depuis que je m’entraîne à repérer mes agacements, je peux plus facilement dire « non » d’une façon tranquille, même si ferme, et signaler ce qui est acceptable ou ne l’est pas pour moi. Avoir dans mon entourage des personnes qui savent être assertives m’aide énormément, de même qu’avoir des personnes qui peuvent me suggérer respectueusement quelles sont les meilleures manières pour elles que je leur indique ce qui est OK pour moi et ce qui ne l’est pas. Par exemple, « Quand je fais quelque chose qui ne te va pas, dis-moi ce que je devrais faire à la place pour que ce soit OK pour toi » a été une phrase clef pour mon apprentissage dans le fait de communiquer ce qui provoquait mon énervement.
Comme toute émotion, la colère est aussi là pour nous faciliter l’apprentissage de la vie en communauté. Nous sommes des animaux sociaux, et notre organisme est fait pour évoluer ensemble, et ça requiert de l’attention, des ajustements. Je me réjouis de voir que de plus en plus de parents et éducateur·ices travaillent sur leur régulation émotionnelle et encouragent les enfants à faire de même ! Quelle joie de savoir que les générations suivantes rencontreront sûrement moins ces problèmes-là !
La « colère saine » : distinguer colère et violence
Manifester une « saine colère » est parfois utile. Dans certaines situations, c’est la seule façon de faire entendre à l’autre les limites que nous ne voulons plus voir piétinées. C’est aussi grâce à la colère que nous avons déclenché de nombreux changements ! Toute la subtilité est de manifester cette colère sans la jeter à la figure des personnes concernées.
Faire percevoir l’intensité de mon émotion de colère sans envoyer de l’agressivité à mon interlocuteur reste une compétence à améliorer en ce qui me concerne. Mais comme cela fait partie de mes valeurs de ne pas me montrer violente, je m’astreins à écouter ma colère et ce qu’elle me raconte avant d’aller voir les personnes à qui je veux dire « Stop ! » ou « Ce n’est pas acceptable ! Je demande cela à la place ! ».
En prenant en compte ma colère et ses messages avant d’interagir, je peux créer les conditions d’une coopération pour trouver une solution bonne pour chacun·e. Et si ces personnes ne m’écoutent pas, je peux laisser mon émotion de colère remonter légèrement en moi, de façon à ce que la personne ou le groupe puisse percevoir l’importance pour moi du sujet abordé. Et si ma colère revient fortement, je préfère m’éloigner et revenir quand je ne serai plus « sous le coup de la colère » car je sais que je risque de dire des mots ou de faire des gestes que je regretterai plus tard.
Adapter l’expression de son émotion est une compétence délicate… d’autant que même si j’exprime ma colère sans agressivité, l’intensité de sa présence peut être perçue comme violente par la personne ou le groupe qui la reçoit.
Et parfois, il nous est presque impossible de ne pas verser dans la violence : ce peut être le cas de personnes ayant une estime insuffisante d’elles-mêmes.
Et quand mon cerveau réagit bizarrement ?
Nous ne sommes pas toustes égaux·ales en ce qui concerne les fonctionnements de notre cerveau. Des personnes ayant une sensibilité particulière, des connexions neuronales spécifiques, des modalités de traitement de l’information différentes… vont expérimenter leurs émotions à leur façon. Pour certain·e·s d’entre nous, la colère va être plus délicate à accueillir et à entendre, car elle viendra réveiller des processus neuronaux plus réactifs. Je pense aux personnes neurodivergentes ou à certains troubles qui ne facilitent vraiment pas la gestion des émotions. Travailler alors avec des professionnel·le·s formé·e·s et informé·e·s sera alors certainement d’une grande aide !
Alors, prêt·e·s à faire de la colère l’une de vos meilleures alliées ?
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